Acte 1, scène 3


Appartement de Pinter et Alicia Zymot


Bureau de Pinter Zymot

 


Bar d'Anselmo Bracci

 


Bureau de Pinter Zymot. Nouvel interrogatoire.

 

Victor Guerrier : - (épuisé) Mais qu’est-ce que vous voulez que je vous dise de plus ? Je suis sorti du bar et, à partir de là, c’est le brouillard. Le trou blanc à cause de l’Hypnol !

Pinter Zymot : - Monsieur Bracci, lui, affirme qu’il vous a servi deux vodkas.

V.G. : - Oui, j’en ai peut-être pris une aussi avant de partir...

P.Z. : - Et il affirme aussi qu’il ne vous a pas donné de somnifère.

V.G. : - Ben voyons, et c’est moi qui aurais tout inventé ?

P.Z. : - Non, votre prise de sang faite hier confirme bien des résidus d’alcool et de somnifère dans votre organisme.

V.G. : - Ah, vous voyez bien alors...

P.Z. : - Non, justement, je ne vois rien puisque vous ne pouvez rien me raconter.

V.G. : - Mais je l’aurais pris où, alors, ce comprimé d’Hypnol ?

P.Z. : - Très bonne question : êtes-vous sûr que c’est bien monsieur Bracci qui vous l’a vendu cette nuit-là ?

V.G. : - Je pense que oui... Peut-être...

P.Z. : - Où auriez-vous pu vous en procurer alors ?

V.G. : - Je ne sais pas.

P.Z. : - Evidemment, ça commence à faire beaucoup de trous dans votre histoire.

V.G. : - Mais pourquoi j’aurais décidé comme ça, un soir, d’aller tuer un clochard avant d’aller me coucher ? Je passe tous les jours dans cette rue et je ne savais même pas qu’il était là.

P.Z. : - Vous ignoriez sa présence dans votre rue ?

V.G. : - Non... je savais qu’il y était mais je n’y avais jamais fait attention.

P.Z. : - Vous ne lui aviez jamais rien donné ni adressé la parole ?

V.G. : - Non... je ne crois pas.

P.Z. : - Bon, à partir de quand n’êtes-vous plus sûr de ce que vous avez fait ce jour-là ?

V.G. : - Mais... je ne sais pas. Vous croyez quoi ? Toutes les journées sont les mêmes et quand il ne se passe rien de particulier...

P.Z. : - Vous prenez régulièrement de l’Hypnol pour vous endormir ?

V.G. : - De l’Hypnol, non... Mais bon, oui, je prends des médicaments et je bois de l’alcool. Beaucoup d’alcool comme Anselmo a dû vous le dire... et je ne vous cache pas que je commence vraiment à souffrir ici. Mais l’alcool, c’est légal, non ?

P.Z. : - Oui, c’est un peu triste mais c’est légal.

V.G. : - Ne vous foutez pas trop de moi. On verra bien où vous en serez dans dix ou quinze ans.

P.Z. : - Excusez-moi... (il réfléchit) Vous savez, il y a quelque chose qui m’a vraiment surpris lorsque j’ai consulté les informations disponibles à votre sujet.

V.G. : - Ah bon ? Vous les sortez d’où, ces infos ?

P.Z. : - Eh bien, quand vous aviez une vingtaine d’années, vous avez passé des tests de recrutement pour l’armée de terre et...

V.G. : - Vous êtes remonté jusque-là ?

P.Z. : - Vous n’avez pas de casier judiciaire alors, hormis quelques contraventions, il n’y a pas grand-chose à consulter... Lors de ces tests, votre QI a été évalué à une valeur de plus de 130 : c’est assez impressionnant, non ?

V.G. : - Ouais...

P.Z. : - Monsieur Guerrier ?

V.G. : - Oui.

P.Z. : - Vous avez un quotient intellectuel d’un niveau assez exceptionnel et largement au-dessus de la moyenne de...

V.G. : - (excédé) Oui et alors ?? Ça veut dire quoi ? Ça révèle quoi ? Ça intéresse qui ?

P.Z. : - Excusez-moi, c’était plutôt un... compliment.

V.G. : - Un compliment ? Mon cul ! Ma mère m’a emmerdé pendant des années avec ces tests à la con ! Alors quoi ? Je suis un génie et un assassin ? Non, je suis un chômeur dépressif et alcoolique. Un boulet de la société, vous comprenez ? Tant dans six mois, ça sera moi le SDF !

P.Z. : - Vous savez, dans une affaire criminelle, il faut vous attendre à ce que l’on recherche des informations très personnelles.

V.G. : - Mais puisque cette affaire ne me concerne pas ! Comment est-ce qu’il faut vous le dire ?

P.Z. : - Il faut me dire avec précision ce qui s’est passé au moment où vous auriez pu commettre ce crime... Monsieur Guerrier, comprenez qu’un meurtre a été commis, que vous vous trouviez sur les lieux à l’heure présumée du crime, que vous ne me fournissez aucun alibi et que, en plus...

V.G. : - En plus quoi ? J’ai un gros QI ?

P.Z. : - Non, enfin si, mais vous disposez surtout chez vous de plusieurs modèles de poignards et de couteaux de chasse qui...

V.G. : - Oui mais dont aucun n’a jamais servi. Ce sont des objets de collection et je ne les porte jamais sur moi. Personne ne les a jamais vus hors de chez moi... Mais vous êtes persuadé que c’est moi, n’est-ce pas ? De toute façon, vous vous dites ça et c’est tout.

P.Z. : - La seule chose que je me dis en vous regardant, monsieur Guerrier, c’est que soit vous avez commis ce meurtre soit vous avez forcément vu quelque chose d’important pour l’enquête. Les deux options sont valables mais comprenez que, dans les deux cas, votre trou de mémoire me contrarie très fortement.

V.G. : - Et... que va-t-il se passer si vous êtes contrarié ?

P.Z. : - Pour commencer, vous allez rester ici encore quelques heures et puis…

La lumière s’éteint. Silence. Bruit de voiture, conversation de Pinter Zymot au téléphone. « Oui, c’est moi, je suis en route... Oui, je sais mais, quand on a une affaire de meurtre, ça prend toujours un peu plus de temps pour tout vérifier... Non, je te raconterai. En plus, ce matin, j’ai interrogé une de tes copines... Ah, je te laisse deviner... Rassure-toi, elle n’est pas en garde à vue. Embrasse les filles et je me dépêche... Evidemment, je t’embrasse aussi. »