Acte 3, scène 2


Appartement de Pinter et Alicia Zymot


Bureau de Pinter Zymot

 


Bar d'Anselmo Bracci

 


Bureau de Pinter Zymot. Nouvel interrogatoire.

 

Victor Guerrier : - Monsieur Zymot, moi qui pensais vous retrouver désormais au comptoir d’Anselmo Bracci… C’est très gentil d’être venu me chercher chez moi. Vous aviez peur que j’oublie de venir à votre convocation ?

Pinter Zymot : - Peut-être, oui, mais nous avions surtout quelques petites choses à vérifier rapidement chez vous. Et je vais malheureusement être amené à vous re-poser un certain nombre de questions.

V.G. : - Dans ce cas, servez-moi une vodka. Vous savez bien que cela me rend plus bavard.

P.Z. : - Désolé mais je pense que, durant votre séjour ici, vous n’aurez droit qu’au jus des glaçons.

V.G. : - Dommage… Vous vous êtes renseigné à propos de l’accident dont je vous ai parlé ?

P.Z. : - Non mais (il lui tend une feuille de papier), si vous voulez m’indiquer un lieu et une date, vous pouvez toujours le faire.

V.G. : - Ah, je vais essayer de me souvenir.

P.Z. : - Ne vous fatiguez pas trop là-dessus. D’après moi, il y a au moins une chance sur deux que cet accident n’ait jamais eu lieu. Par contre, nous allons revenir rapidement sur des événements beaucoup plus proches et beaucoup plus concrets.

V.G. : - Espérons que je puisse vous être utile.

P.Z. : - Merci. Pour ma part, je vais faire l’effort de décortiquer tout cela avec des questions courtes, simples et précises.

V.G. : - Ça ne remplacera pas une vodka, mais bon…

P.Z. : - Donc, pour résumer les derniers événements, il y a eu ce matin une nouvelle autopsie du clochard poignardé près du bar de monsieur Bracci et les résultats ont été transmis à un expert spécialisé dans les armes blanches. C’est assez étonnant mais, le coup porté ayant été sec et précis, l’expert a pu identifier trois modèles possibles de couteau de chasse dont les lames correspondraient à la blessure de la victime.

V.G. : - Etonnant, en effet.

P.Z. : - Parmi ces trois modèles, on trouve notamment un modèle de marque autrichienne dont le nom me semble imprononçable mais qui est, semble-t-il, bien connu des collectionneurs (il lui tend un document). Est-ce que la photo ou le nom vous disent quelque chose ? (silence) Pour être toujours plus précis, une étude de vos relevés bancaires a laissé apparaître un achat, pour un montant de 167 Euros, fait il y a six semaines sur un site d’enchères publiques (silence). Et, en approfondissant légèrement nos recherches, nous avons constaté qu’il s’agissait tout simplement d’un couteau de chasse correspondant au fameux modèle autrichien, qui a été livré chez vous cinq jours plus tard (silence). Pouvez-vous au moins me confirmer cela, s’il vous plait ?

V.G. : - Oui, c’est un objet de collection et vous savez déjà que j’en possède beaucoup d’autres.

P.Z. : - Exact… D’où vous vient cette passion pour les armes blanches ?

V.G. : - J’aime le métal. J’aime son côté froid et brillant. C’est une matière qui a été portée à des températures phénoménales avant de se figer pour l’éternité. J’aime sa dureté et ses reflets. Et puis il y a tout l’imaginaire qui vient autour… ça me fait rêver. C’est à la fois froid et poétique : comme la vie… et comme la mort.

P.Z. : - Avec un poignard, on ne peut pas donner la vie mais on peut donner la mort.

V.G. : - On peut faire bien plus que cela... Enfin, c’est ce que j’imagine puisque je ne m’en sers jamais.

P.Z. : - Pour un laboratoire de la police, il serait très facile de savoir si votre poignard autrichien a déjà servi ou pas.

V.G. : - Tout à fait, vous devriez le faire analyser.

P.Z. : - Le seul problème, monsieur Guerrier, c’est que ce poignard ne se trouve pas chez vous.

V.G. : - Ah… vous en êtes sûr ?

P.Z. : - J’ai vérifié moi-même. Il ne se trouve pas parmi les autres pièces de votre collection et d’autres collègues sont en train de poursuivre une fouille en profondeur. Ils m’auraient prévenu s’ils avaient trouvé quelque chose.

V.G. : - Ah et dans quel état je vais retrouver mon appartement ?

P.Z. : - Où est ce poignard, monsieur Guerrier ?

V.G. : - Mais… je ne sais pas.

P.Z. : - Le portiez-vous sur vous le soir où le meurtre a été commis ?

V.G. : - Non, je ne crois pas.

P.Z. : - Vous souvenez-vous d’avoir acheté et reçu ce poignard ?

V.G. : - Oui, enfin... oui.

P.Z. : - Avez-vous tué le clochard que vous avez forcément croisé en rentrant du bar de monsieur Bracci ?

V.G. : - Non.

P.Z. : - Alors, où se trouve ce poignard ?

V.G. : - Mais je ne sais pas !!

P.Z. : - Vu vos petits revenus, quand vous achetez un objet à 167 Euros, je suppose que vous y faites attention, n’est-ce pas ?

V.G. : - Oui mais bon…

P.Z. : - Si quelqu’un vous avez volé un élément de votre belle collection, vous vous en seriez rapidement aperçu, n’est-ce pas ?

V.G. : - Euh… oui.

P.Z. : - Avez-vous été cambriolé ou agressé dernièrement ?

V.G. : - Non mais…

P.Z. : - Portiez-vous le couteau autrichien que vous veniez d’acheter le soir du meurtre ?

V.G. : - Non, je ne crois pas.

P.Z. : - Avez-vous tué le clochard que vous…

V.G. : - (en hurlant) Je ne sais pas !!! Je ne sais pas, je vous dis ! J’étais bourré à l’Hypnol et à la vodka et, comme je vous l’ai expliqué, je cultive les trous de mémoire. C’est même devenu plus fort que moi… Je vous l’ai déjà dit : je ne suis pas comme vous et je ne réfléchis pas comme vous ! La vérité, c’est que – grâce à ça – j’en ai rien à foutre de votre clochard. Cela fait trente ans que je n’en ai plus rien à foutre de tout ce qui vous intéresse… Alors je ne sais pas. Fouillez, cherchez tout ce que vous voulez mais démerdez-vous et foutez-moi la paix !

P.Z. : - (plus calme) Monsieur Guerrier… Vous vous trouviez précisément à l’endroit et à l’heure où un homme a été poignardé. De plus, vous possédez une arme blanche peu courante qui correspond précisément à l’arme du crime. Sur ce, vous n’avez pas le moindre alibi et, pour couronner le tout, vous ne pouvez même pas me dire où se trouve cette arme… Même sans vos aveux, je n’aurai aucun mal à obtenir votre mise en examen et, si vous continuez à ne pas m’aider, il est très probable que cette deuxième garde à vue débouche directement sur une détention provisoire. Autrement dit, je ne sais vraiment pas quand vous retrouverez votre appartement et quand vous siroterez votre prochaine vodka (silence). Pour quelqu’un qui est dépendant à l’alcool comme vous, les prochaines semaines risquent d’être très difficiles, monsieur Guerrier.

V.G. : - Si vous n’avez pas besoin de mes aveux pour me coller au trou, alors pourquoi vous continuez à m’interroger ?

P.Z. : - Mais parce que vous êtes peut-être innocent… C’est peu probable mais ce n’est pas impossible. Avec moi, vous pouvez encore discuter un peu de vos états d’âme, de votre philosophie ou de vos trous de mémoire. Par contre, dans les bureaux de la brigade criminelle, les choses iront beaucoup plus vite. Si vous ne leur donnez pas ce qu’ils cherchent alors ils penseront forcément que vous leur cachez des preuves. Ils vous interrogeront sans relâche jusqu’à ce que vous finissiez par avouer quelque chose, n’importe quoi, juste pour qu’ils arrêtent de vous questionner… Vous êtes faible, Victor. A cause de vos besoins d’alcool, vous êtes faible et, croyez-moi, ils sauront bien se servir de ça.

V.G. : - Et, d’après eux, pourquoi est-ce que j’aurais fait ça ?

P.Z. : - Folie passagère, délire paranoïaque, illusion de puissance… Ce meurtre est bizarre, c’est vrai, mais il n’est pas exceptionnel : on trouvera bien un mot pour le désigner et puis on passera à autre chose.

V.G. : - Alors, de toute façon, je suis foutu…

P.Z. : - Pas forcément, Victor. Si nous retrouvons le couteau que vous avez acheté, il vous reste encore une petite chance de vous en sortir : il n’a peut-être réellement jamais servi, il n’y a peut-être plus aucune trace, qui sait ?

V.G. : - Qui sait quoi ?

P.Z. : - Et, même si l’on retrouve ce couteau avec vos empreintes et des traces du sang de la victime, il n’y aura plus besoin d’interrogatoire puisqu’ils auront une preuve. Et, dans votre état… Vous êtes quelqu’un d’intelligent, Victor, vous savez que c’est votre seule chance de vous en sortir : vous ne pouvez pas ne pas savoir… Essayez de vous souvenir : où est ce couteau ?

V.G. : - Je ne m’en souviens pas.

P.Z. : - Avez-vous tué ce clochard ?

V.G. : - Je… je ne sais pas.

P.Z. : - Est-ce que vous aimeriez savoir ?

V.G. : - Quoi ?

P.Z. : - Souvenez-vous de ce que vous a dit Anselmo : ce n’est pas la culpabilité qui vous a rongé toute votre vie, c’est le doute. Même si la brigade criminelle vous arrache des aveux, vous ne saurez jamais réellement ce que vous avez fait. Mais si vous retrouvez le couteau, alors vous saurez : vous saurez ce que vous avez fait et vous saurez qui vous êtes vraiment (long silence). Victor ?

V.G. : - (épuisé) Désolé, je ne me souviens pas.

La lumière s’éteint.