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Acte 3, scène 3


Appartement de Pinter et Alicia Zymot


Bureau de Pinter Zymot

 


Bar d'Anselmo Bracci

 


La lumière s’allume brièvement sur l’appartement de Pinter et Alicia. Alicia est au téléphone et on entend un bip sonore : « Oui, c’est moi. Je pensais que tu ne rentrerais pas tard et que tu m’appellerais… J’espère que c’est juste un oubli dû à ton travail et qu’il ne s’est rien passé de particulier… Je commence quand même à m’inquiéter alors rappelle-moi dès que possible, s’il te plait. » Elle raccroche et la lumière s’éteint.

 

 

 
Appartement de Pinter et Alicia Zymot


Bureau de Pinter Zymot

 


Bar d'Anselmo Bracci

 

 


Bar d’Anselmo Bracci, tard le soir. Anselmo est seul à son comptoir en train d’essuyer des verres. Il n’y a pas de client et les chaises sont retournées sur les tables. Martine arrive doucement de la cuisine, enroulée dans un pull, et le rejoint.

 

Martine : - Anselmo, tu es tout seul ?

Anselmo : - (surpris) Oui… je t’ai réveillée en rangeant les chaises ?

M. : - Non, je me suis réveillée et… j’ai été étonnée de ne rien entendre. Tes clients du soir ne sont pas venus ?

A. : - Si mais ça a un peu mal tourné… Ils ont appris que Victor Guerrier a été incarcéré pour le meurtre du clochard et ça les a rendus quasiment hystériques…. Et puis ils ont commencé à me poser des questions un peu trop personnelles alors j’ai fini par les mettre dehors. Mais, rassure-toi, ils reviendront demain et ils auront tout oublié, comme d’habitude.

M. : - Oh, je ne m’en fais pas. Tu sauras toujours quoi leur dire pour relancer la conversation.

A. : - Oui mais, finalement, un peu de silence aussi ça fait du bien de temps en temps. Allez, retourne te coucher : je finis de ranger et je te rejoins vite.

M. : - Je n’ai plus sommeil.

A. : - Tu veux boire quelque chose de chaud ?

M. : - Non…

A. : - Qu’est-ce qu’il y a ?

M. : - Tu penses que c’est vraiment Victor qui a tué ce clochard ?

A. : - C’est très possible, oui.

M. : - Et ça ne te fait pas peur de côtoyer ce genre de personne ?

A. : - Non, c’est beaucoup moins dangereux que de traverser une rue pleine de voitures. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de risque mais, si l’on veut traverser, il vaut mieux ne pas trop y penser.

M. : - C’est rassurant de savoir parler. Toi, tu parles bien… Alicia parle très bien aussi.

A. : - Oui, ça me fait bizarre que tu sois copine avec la femme d’un flic. Mais je suis quand même content que tu te sois fait une amie.

M. : - Oui, ça me fait vraiment du bien. On parle et j’ai l’impression de redécouvrir plein de choses sur moi. Parfois, je me trouve très différente d’elle et, parfois, j’ai l’impression que l’on réfléchit exactement de la même manière. Elle aussi, elle se pose beaucoup de questions. Elle aussi, elle aimerait mieux comprendre certaines choses.

A. : - Ah et qu’est-ce que, toi, tu aimerais mieux comprendre ?

M. : - Toi… J’ai l’impression que tu me rassures tellement et que tu m’apportes tellement de choses… J’aimerais, moi aussi, t’aider à avancer.

A. : - Mais tu m’aides déjà tous les jours. C’est pas chez moi ici, c’est chez nous. C’est pour nous que j’ai envie chaque jour de me lever.

M. : - Mais j’aimerais aussi te rassurer.

A. : - Mais est-ce que j’en ai vraiment besoin ? J’ai déjà eu le temps de faire mon blindage et, crois-moi, il est solide. Toi, tu es ma part de fragilité… Alors, c’est vrai, je m’inquiète souvent pour toi mais ça me fait aussi beaucoup de bien.

M. : - Non, je me dis que (elle hésite)… Je me dis que, si je savais mieux parler, je saurais te rassurer et ça t’aiderait à accepter l’idée d’avoir un enfant.

A. : - Ah, c’est donc ça…

M. : - Excuse-moi mais j’ai vraiment besoin d’en parler.

A. : - D’en parler, oui… Mais tu connais déjà ma réponse.

M. : - Oui mais peut-être que, un jour, je saurai te faire changer d’avis.

A. : - Malheureusement, je ne crois pas.

M. : - Mais est-ce que tu sais au moins pourquoi tu n’en veux pas ?

A. : - Oui, tout à fait. Je n’en veux pas parce que, contrairement à ce que tu imagines, un enfant possède en lui une agressivité absolument effrayante… Si des parents savent y faire, ils peuvent la canaliser et la transformer momentanément en tendresse, en amour, en affection… Mais, à la moindre erreur, tout peut leur péter à la figure : les caresses deviennent des baffes et ils ne savent plus quoi faire car ils sont complètement paralysés par la culpabilité. Alors, oui, j’ai peur. Je ne me sens pas à la hauteur… Je ne sens pas le courage, un jour, de regarder mon gamin en regrettant qu’il soit né. Voilà… Je pense avoir reconstruit beaucoup de choses dans ma vie mais, là, la barre est trop haute pour moi.

M. : - Et si, moi, je te dis qu’ensemble on peut y arriver et que, grâce à moi, toi aussi tu peux faire des choses que tu n’imaginais même pas ?

A. : - C’est bien dit mais ce n’est pas si simple… Est-ce que tu sais seulement pourquoi, toi, tu veux un enfant ?

M. : - Oui, je crois mais ça ne va peut-être pas te plaire.

A. : - Ah bon ? Tu m’intéresses…

M. : - En fait, je veux un enfant parce que tu es vieux… Je suis heureuse avec toi mais, un jour, tu vas claquer et je serai toute seule. Et toute seule pendant combien de temps ? Vingt ans ? Trente ans ? Il me restera quoi ? Moi, toute seule, je ne sais pas tenir un bar, gérer les commandes et discuter avec les poivrots. Je ne pourrai pas rester ici sans toi. Alors qu’est-ce qu’il me restera pour attendre ? Ici, avec toi, tous les jours je suis heureuse mais, la nuit, quand j’y pense ça me terrifie. Je suis même sûre que c’est ça qui m’a réveillée tout à l’heure.

A. : - Et moi, tu crois peut-être que je n’y pense jamais à ça ?

M. : - Si et, à chaque fois, tu augmentes les versements sur ton assurance-vie pour te rassurer.

A. : - Excuse-moi…

M. : - Mais non, Anselmo. Je sais qu’avec ça et le bar j’aurai largement de quoi me débrouiller et faire ce que je veux de ma vie… seule. Seule pendant vingt ou…

A. : - Oui, bon, je crois que j’ai compris.

M. : - Désolée, je t’avais dit que ça ne te plairait pas. Tu pensais que j’allais te parler de mon désir de donner la vie ou de jouer à la poupée mais… Je t’aime et tu es vieux.

A. : - D’accord, d’accord… Mais est-ce que tu crois que, avec un enfant, on ne se sent plus jamais seul ? Un enfant, c’est fait pour avoir sa propre vie, non ?

M. : - Oui mais je n’ai pas envie de tout perdre. Si notre histoire s’arrête un jour, j’aimerais qu’il me reste quelque chose de toi et de ce que l’on aura vécu.

A. : - Oui, une sorte de petit souvenir.

M. : - Non, beaucoup plus que ça. Une nouvelle vie.

A. : - Martine, vu de là où l’on vient, tu n’as pas peur que l’on en demande un peu trop ? Et que l’on mette tout en péril ?

M. : - Ça c’est de ta faute. Quand je t’ai rencontré, j’étais persuadée de mourir jeune parce que la vie me faisait peur. Maintenant, je n’y pense même plus mais, à cause de toi, j’ai peur d’être à nouveau toute seule.

A. : - Et si je refuse, qu’est-ce qui se passera ?

M. : - Absolument rien. On continuera à être heureux et à se faire confiance. C’est ce qu’il y a de plus important. Je n’ai pas envie de te faire des menaces ou du chantage. Je me suis réveillée et j’avais envie de te parler, c’est tout (elle se serre contre lui)… Ne t’inquiète pas, j’ai piqué ton pull mais je n’ai pas l’intention de faire ma valise.

A. : - (il la prend dans ses bras) Tu n’imagines pas à quel point c’est important pour moi de te faire confiance…

M. : - De toute façon, on n’a pas de valise. On n’en a pas besoin, nous, quand on part en vacances.

A. : - C’est vrai, alors qu’avec des enfants…

M. : - Est-ce que tu vas quand même y réfléchir ?

A. : - Oui mais on ne peut pas tout avoir… C’est toujours dangereux de trop en demander.

M. : - On ne peut pas tout avoir mais on peut en parler, non ?

A. : - Oui, on peut en parler… Et on en reparlera, c’est promis.

M. : - J’ai sommeil, Anselmo.

A. : - Il est tard. Monte te coucher et je vais finir la fermeture (elle se dirige vers la cuisine).

M. : - Je t’aime, tu sais ?

A. : - Moi aussi. Je t’aime et tu es jeune. A tout de suite (elle sort).

Anselmo se remet à nettoyer le bar en silence. Au bout de quelques instants, Pinter Zymot entre dans le bar.

Anselmo Bracci : - Monsieur Zymot ! Décidément, il va falloir que je vous inscrive à mon cercle d’habitués. A part un café, est-ce que je peux vous servir quelque chose ?

Pinter Zymot : - Non merci, je ne bois pas d’alcool.

A.B. : - Ça tombe bien, moi non plus. Jus de raisin, menthe à l’eau, limonade ?

P.Z. : - Un jus de raisin, s’il vous plait.

A.B. : - Parfait, je vous accompagne (il sert deux verres). Alors, qu’est-ce qui vous amène par ici à cette heure malhonnête ?

P.Z. : - Bof, je traîne un peu… La journée a été rude et pourtant je n’ai pas sommeil. Et puis je viens juste d’écouter un message de ma femme qui me laisse entrevoir quelques petits problèmes en rentrant chez moi.

A.B. : - Je vois… pour moi, la discussion vient juste d’avoir lieu. Et je me demande si votre femme n’a pas une mauvaise influence sur la mienne.

P.Z. : - C’est possible. En tout cas, elles s’entendent bien… Vous allez voir qu’on va finir par se fréquenter et qu’on va même passer nos vacances ensemble.

A.B. : - Euh, ça j’en doute un peu. A la vôtre (ils boivent, Anselmo ressert) ! Pourtant, vous avez réussi à résoudre une affaire importante aujourd’hui, non ?

P.Z. : - Résoudre… oui, si l’on veut.

A.B. : - Victor est passé aux aveux ?

P.Z. : - Pas vraiment, non. Il s’est complètement décomposé au fur et à mesure de la garde à vue. Lors du dernier interrogatoire, je crois qu’il n’aurait même pas été capable de lire l’heure à sa montre.

A.B. : - Il continue à dire qu’il ne se souvient de rien ?

P.Z. : - Non, il ne dit plus grand-chose. Il s’est effondré dans son propre trou de mémoire.

A.B. : - Et, avec le manque d’alcool, il aura de plus en plus de mal à revenir sur Terre.

P.Z. : - De toute façon, avec les éléments à charge et l’absence d’alibi, les inspecteurs de la criminelle n’auront pas grand-chose à faire pour constituer le dossier. Le mandat de dépôt a été signé par le juge en fin d’après-midi et il sera transféré demain vers ses nouveaux tortionnaires.

A.B. : - Vous avez passé beaucoup de temps avec lui ?

P.Z. : - Oui, autant que j’ai pu. J’espérais qu’il ait un dernier réflexe pour se défendre.

A.B. : - Belle compassion de la part d’un officier de police.

P.Z. : - Je ne sais pas si c’est de la compassion… Je pensais que, en étant plus intelligent que les autres, il aurait pu devenir plus… plus rationnel.

A.B. : - Vous savez, dans ce genre de situation, l’intelligence c’est très relatif.

P.Z. : - Oui mais, quand même, ça aide, non ?

A.B. : - Mais qu’est-ce que vous imaginez ? Qu’ici Victor Guerrier est comme un génie planqué au milieu d’une nuée d’abrutis ? A ce compte-là, tous mes clients du soir sont des génies. Ce sont tous des génies qui, à un moment de leur vie, ont ramassé une rafale de baffes dans la gueule sans plus savoir comment réagir. Croyez-moi, tout le monde est intelligent mais la violence et l’intelligence vont rarement ensemble… C’est la violence du monde qui engendre les imbéciles et les meurtriers.

P.Z. : - Donc, c’est ça. Nous sommes tous des victimes de la violence du monde. Il n’y a donc plus de coupables… C’est facile à dire mais c’est quoi, alors, la violence du monde ?

A.B. : - C’est grandir en croyant que l’on est quelqu’un et vieillir en comprenant que l’on est personne. Sur sept milliards d’êtres humains tous aussi intelligents les uns que les autres, il y en a qui l’acceptent plus ou moins bien.

P.Z. : - Oui mais ça ne suffit pas à faire de tout le monde des assassins.

A.B. : - Non, c’est vrai, le goût de la mort est quelque chose de plus… exceptionnel.

P.Z. : - (ricanement) Le goût de la mort…

A.B. : - Ça vous amuse ?

P.Z. : - Vous y croyez, vous, à l’histoire d’accident que Victor Guerrier nous a racontée ?

A.B. : - Oui, il l’a sans doute modifiée au fil des années mais elle est tout à fait possible… Et ça a pu marquer un vrai tournant dans sa vie.

P.Z. : -  J’ai vécu moi aussi une histoire de ce genre mais en sens inverse.

A.B. : - Vous avez été renversé par un chauffard ?

P.Z. : - Non… J’avais dix-sept ans et je venais de passer mon brevet de secourisme. Un jour, dans la rue, j’ai vu arriver un homme d’une cinquantaine ou d’une soixantaine d’années qui faisait son jogging. Voilà que le type s’arrête, grimace, se tient la poitrine et s’effondre sur le trottoir.

A.B. : - Dommage.

P.Z. : - J’ai récité ma leçon comme il le fallait. J’ai demandé à quelqu’un de prévenir les secours, j’ai vérifié le souffle et le pouls et, comme je ne sentais rien, j’ai commencé la respiration artificielle et le massage cardiaque… Ça a duré peut-être dix bonnes minutes et puis les pompiers sont arrivés. Je me suis écarté pour reprendre mon souffle et, quelques instants plus tard, tout le monde était parti. Je suis resté seul à genou sur le trottoir.

A.B. : - Et, grâce à vous, le type s’en est sorti ?

P.Z. : - Aucune idée, tout s’est passé très vite et je n’ai plus jamais eu de nouvelle de qui que ce soit. Je n’avais laissé mon nom à personne et je ne savais pas à qui demander.

A.B. : - Et, une fois dans la police, vous avez essayé de faire des recherches ?

P.Z. : - Non, ce n’était pas une agression. La police n’intervient pas pour une crise cardiaque et rien n’est conservé dans nos archives. Et je ne sais absolument rien de cet homme… Et pourtant, comme Victor l’a raconté, c’est devenu un personnage régulier qui me rend visite dans ma mémoire. Est-ce que j’ai réussi à sauver la vie de cet homme ou bien…

A.B. : - Ou bien avez-vous simplement soufflé dans un cadavre.

P.Z. : - Exactement. C’est pour ça que, quand vous avez parlé du goût de la mort… Enfin, pour moi, ce n’est pas une question de culpabilité mais, comme vous l’avez dit, le doute suffit pour nous poursuivre.

A.B. : - Il semblerait que vos discussions avec Victor aient remué des choses assez profondes en vous. Vous devriez vous méfier si vous ne voulez pas finir accroché à ce comptoir.

P.Z. : - Merci mais je pense qu’il y a encore un peu de marge... Ça doit vous amuser, non, cette manière qu’ont les gens d’être bouleversés par la violence et la mort ?

A.B. : - Pas du tout.

P.Z. : - Pourtant avec ce que vous avez vécu avant de…

A.B. : - Décidément, je ne sais pas quelle image on tient à se faire de moi mais, comme je l’ai dit ce soir à mes autres habitués, je ne serais pas sorti de prison si jeune si j’avais été un meurtrier.

P.Z. : - Braquages à main armée, tout de même.

A.B. : - Oui mais sans avoir franchi la limite.

P.Z. : - Et onze ans de détention.

A.B. : - Contre vingt au minimum si j’avais été un assassin.

P.Z. : - Enfin, ça vous donne quand même une certaine expérience.

A.B. : - Ecoutez, je sais qu’on aime bien se faire de moi l’image d’un ancien caïd, d’un chef de réseau ou d’un grand manitou mais, croyez-moi, la réalité est bien différente.

P.Z. : - C’est-à-dire ?

A.B. : - Rentrez plutôt chez vous. C’est important de dormir pour un père de famille.

P.Z. : - Je n’ai pas sommeil.

A.B. : - Vous voulez une verveine ?

P.Z. : - Si c’est mon dernier espoir, pourquoi pas ?

A.B. : - (il prépare) Vous vous en êtes peut-être déjà aperçu mais ce n’est pas en lisant des rapports que l’on se fait une idée correcte des gens. Un rapport, c’est une accumulation de faits tous rangés dans l’ordre alors que, dans notre esprit, seuls un ou deux événements ont une réelle importance.

P.Z. : - Je le sais, tout le reste n’est qu’un mélange.

A.B. : - En fait, je n’ai été confronté qu’une seule fois à la mort. Pas à la vue d’un cadavre mais à l’instant de passage entre le tout et le rien… Et bien ça m’a suffi !

P.Z. : - C’est vous qui avez tué quelqu’un ?

A.B. : - Même pas. C’est mon frère qui a pris une balle dans le buffet. Enfin, celui que je considérais comme mon grand frère, juste devant moi. Je le suivais partout sans me poser de questions et puis là… Je me souviens juste que ça canardait dans tous les sens alors je suis parti en cavalant sans me retourner, en essayant de comprendre ce qui venait de se passer. Et j’ai l’impression d’avoir couru comme ça pendant près de vingt ans…

P.Z. : - Pourtant vous avez réussi à tout changer et à tout reconstruire.

A.B. : - Oui, tout était tellement ridicule autour de moi… On me prenait pour un grand frère alors que… Plusieurs fois, j’ai voulu me mettre une balle dans la tête devant des petits jeunes pour leur montrer à quoi ça tenait… Alors j’ai tout organisé, tout planifié. La seule chose que je n’avais pas prévu, c’était de rencontrer Martine.

P.Z. : - Un coup de chance… Mais vous repensez souvent à tout ça.

A.B. : - Bien sûr. Le plus drôle c’est quand Martine m’oblige à regarder un film de gangsters à la télé : il y a toujours un méchant qui se prend une balle dans le bide et qui récite ses dernières volontés pendant dix minutes. A chaque fois, j’en suis mort de rire. La mort, ce n’est pas un long glissement : c’est une porte qui te claque dans la gueule sans prévenir. Il n’y pas le temps de faire un discours. Inconsciemment, tout le monde a peur de ça. Mes clients en ont simplement un peu plus peur que les autres alors ils viennent ici pour mourir à petit feu.

P.Z. : - Mais eux, au moins, ils ont le temps de parler.

A.B. : - Tout à fait. Ça me fait plaisir de les entendre déballer tout ce qu’ils ont dans le cœur et dans le crâne. Ils n’auront pas le même sort que ceux qui n’y pensent pas assez. Après, ils dorment mieux et moi aussi.

P.Z. : - Et moi, il ne me reste que la verveine.

A.B. : - N’exagérez pas. Vous savez ce que voulez et vous n’avancez pas dans le brouillard : en réfléchissant un peu, vous arrangerez tous vos problèmes.

P.Z. : - Réfléchir ou dormir ? Telle est la question.

A.B. : - En tout cas, il est l’heure légale de fermer (il lui tend la main). Et je vous souhaite sincèrement une bonne nuit.

P.Z. : - (il lui serre la main) Merci beaucoup pour cette conversation. A bientôt, peut-être.

A.B. : - Ceci dit (il hésite)

P.Z. : - Oui ?

A.B. : - (il sort une plaquette de médicaments) Si vous avez vraiment du mal à vous endormir, je peux peut-être vous proposer quelque chose…

Anselmo et Pinter se regardent quelques instants… Les lumières s’éteignent. Rideau !

 

 

Merci et à bientôt, j'espère
(vous pouvez rallumer votre téléphone portable)